
«Ça y est ! La fête est terminée, voilà les créanciers qui pointent leurs nez». Après l’euphorie du 25 juillet dernier, place aujourd’hui à la dure et triste réalité. Un Etat, sur le point d’annoncer qu’il est devenu incapable d’honorer ses engagements envers ses créanciers, incapable de payer ses fonctionnaires, de créer les conditions nécessaires à la relance de son économie et à la régression d’un chômage galopant. Ce dernier est en train, hélas, de conduire la société vers la dislocation pure et simple.
Et voilà aussi que l’hiver s’annonce très chaud, infernal même, comme nous l’avions pronostiqué, dans une chronique précédente. Infernal socialement, mais aussi politiquement. Cela sans oublier l’impact destructeur d’une éventuelle nouvelle vague de la pandémie du covid-19, aussi bien au niveau mondial qu’au niveau national.
Comment ne pas envisager de telles suites, quand le locataire de Carthage, qui s’est déclaré seul maître à bord, depuis le fameux 25 juillet et surtout le non moins fameux 22 septembre, s’obstine à la fois dans son attitude belliqueuse envers «ses ennemis» et dans celle qui consiste à infantiliser le peuple et à isoler le pays ?
Oui, comment ne pas avoir peur pour le pays et pour son avenir lorsque le premier responsable de l’Etat semble vouloir tout bloquer ou tout décréter ? Comment le pays va sortir du nouveau bourbier dans lequel il s’est enfoncé depuis fin 2019, alors que ses mains sont attachées derrière le dos ?
Et comment ce locataire va-t-il sauver le pays comme il l’a prétendu, alors qu’il refuse tout dialogue et n’a aucun projet ni programme et que sa vision se limite à deux ou trois slogans que bon nombre de spécialistes jugent irréalisables ? Pire «vision» n’ayant ni légitimité ni légalité.
Ce n’est, d’ailleurs, pas son rôle constitutionnel. Et son contrat politique originel lui interdit de s’interposer entre les acteurs politiques, sociaux et économiques et le peuple, sauf dans des cas bien précis que la Constitution a bien spécifiés.
Un locataire qui, comme certains de ses prédécesseurs, commence à se croire propriétaire et à se comporter comme tel, pire, en prenant tout son temps, alors que les acteurs économiques, entreprises et ménages surtout, sont en train d’agoniser, que les services sociaux s’acheminent vers la paralysie et que les infrastructures entament un processus inquiétant de délabrement.
Et c’est ainsi que tout un peuple est accroché, depuis des mois aux lèvres d’un seul homme, que l’on n’a d’ailleurs jamais vu sourire, attendant qu’il parle ou qu’il décide à coups de décrets providentiels… pardon présidentiels de son sort. Il lui faudra encore attendre jusqu’au 17 décembre courant pour découvrir ce que Saïed a encore mijoté pour lui.
Même l’Histoire est devenue victime de ses décrets. Alors que le pays croule sous les problèmes structurels et conjoncturels, le locataire de Carthage, qui s’obstine à vouloir façonner le pays selon sa propre vision, n’a pas trouvé plus utile que de décréter un changement d’ordre idéologique d’un populisme exquis, encore en porte-à-faux avec la Constitution (Préambule).
Au lieu de réduire par exemple les jours fériés qui pullulent, il s’est érigé en maître absolu de l’analyse socio-politico-juridique et historique et a décrété, contrairement au bon sens et au texte de la Constitution, que le 17 décembre est l’anniversaire de la révolution et que le 14 janvier est la date de son avortement. Révolution, dites-vous M. Saïed. De quelle révolution s’agit-il ?
Répétant à longueur de journée à qui voudrait bien l’entendre que le texte fondamental a été conçu par «eux» sur mesure, leurs propres mesures, alors qu’il avait juré de le respecter, il l’a abrogé d’un trait et a entamé un processus de remodelage total et unilatéral du système politique, à la manière d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Le pays est à genoux et la classe politique, dont une bonne partie est pourrie, est en train de fourbir ses armes, et c’est ce que la plus grande organisation sociale, celle des travailleurs, est en train de faire aussi. Tous les ingrédients d’une succulente guerre civile (à Dieu ne plaise) sont donc sur le point d’être mélangés.
Cela commencera sans doute par des mouvements sociaux, du vandalisme, une violence grandissante et une répression très musclée. C’est ce qui est à craindre et il faut intervenir avant qu’une malencontreuse étincelle ne déclenche l’incendie dévastateur.